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La Gandara et le cabaret du Chat noir


SOURCES : La Chanson à Montmartre de Michel Herbert, Musique pour tous du 24 juin 1907 de Jean Pascal, Les Arts et les Lettres de Léon Riotor en 1884, The Spirit of Montmartre de Phillip Dennis Cate, Raphaël et Gambrinus de John Grand-Carteret en 1886, Autour du Chat Noir de Maurice Donnay, A Montmartre…le soir de Anne de Bercy et Ziwès, Feu Pierrot de Willette, Petits mémoires de la vie de Laurent Tailhade, Le Chat Noir d’Edmond Deschaumes, de Bohème d’Emile Goudeau et Le Chat Noir de Mariel Oberthür.


Gravure d’époque de l’intérieur du Chat Noir avec en haut à gauche de la scène, le portrait de Rodolphe Salis

Rodolphe Salis, fils d’un liquoriste de Châtellerault débarque à Paris, pauvre mais riche d’ambitions en 1872. Pamphlétaire aux cloches et vaguement caricaturiste au Citoyen, Salis fréquentait l’Ecole des Beaux-Arts, les ateliers de Lehmann, de Pils et de Pons Carle. Il habite à cette époque Marlotte en forêt de Fontainebleau et fait avec Ballu des paysages. Il s’installe rue de Seine, dans une modeste chambre de l’hôtel de Rome. Ce furent des années de misère joyeuse, dont le récit paraîtrait un chapitre oublié de la vie de Bohême avec une colonie d’artistes. Fondateur de l’Ecole vibrante, puis École Iriso-Subversive de Chicago avec René Gilbert, Antonio de la Gandara, le sculpteur Théo Wagner et Lebiez (le guillotiné).


La besogne – ô combien fastidieuse ! – était répartie entre les quatre "écoliers" selon leurs dispositions particulières. (…) En fait, elle avait surtout pour but immédiat mais non avoué la confection en série de « chemins de croix » pour un magasin d’objets religieux du quartier Saint Sulpice. René Gilbert dessinait les têtes, Wagner modelait les mains, et Antonio de La Gandara brossait les draperies; Salis se chargeait des fonds et des paysages.


Une amusante anecdote, narrée par Gabriel Salis, frère de Rodolphe, à Adolphe Brisson, et rapportée dans ses portraits intimes, montre que la bonne entente ne régnait pas toujours entre le futur fondateur du Chat Noir et ses associés, à qui il dispensait sans prodigalité le vivre et le couvert, en rétribution de leur concours : « Parfois la chère était maigre, ils réclamaient un supplément, et lorsque Salis fermait l’oreille à leur plainte, ils prêtaient à Saint-Joseph une mine piteuse qui dénaturait l’expression de sa sereine physionomie. Si bien que Salis, rentrant au logis trouvait une collection de saints pleurant à chaudes larmes, avec des nez longs d’une aune. Il dut capituler, corser ses menus, moyennant quoi, Saint-Joseph retrouva sa placidité. »


                                     Portrait de Mr. Baroy               Le Jeune chanteur               Le joueur de flute


La chambre de l’hôtel de Rome, qui servait aussi d’atelier, et où les amis de Salis avaient établi leur dortoir, possédait deux fenêtres, à l’une desquelles l’artiste avait installé un guignol qui faisait l’effarement des passants. Cette chambre possédait aussi un vaste placard, cachette commode lorsqu’un créancier inopportun avait l’inutile audace de venir réclamer de l’argent qu’on lui promettait toujours sans le lui donner jamais.


En septembre1881, après la disparition des Hydropathes d'Emile Goudeau, surgissent les Hirsutes, cénacle fondé par Maurice Petit et en décembre, Rodolphe Salis, attira chez lui ce petit monde qui, leur président Emile Goudeau en tête, beau poète des Plantes à la lumière et des Belles affranchies, venaient de délaisser la rive gauche pour les hauteurs de Montmartre. C’est avec eux qu’il composa le noyau embryonnaire de sa clientèle : Edouard Rod, Edmont Haraucourt, Maurice Rollinat, Charles Cros, Albert Trinchant, Georges Lorin, Champsaur, les frères Décori, Alphonse Allais, Georges Auriol, Grenet-Dancourt, Fragerolle, Marie Krysynska, La Gandara, Mac-Nab, Jean Rameau, Georges d’Esparbès, Paul Marrot, Gaston Sénéchal, Clément Privé, Fernand Icres, Harry Allis, Fernand Xau, le violoncelliste Tolbecque, Léon Bloy, Roinard, Léon Riotor, Charles Morice, Armand Masson, Camille de Sainte-Croix, Edmond Lepelletier, Charles Frémine, Coquelin Cadet, Georges Montorgeuil, Jean Moréas, André Gill, Alphonse Allais, François Coppée, Jules Jouy, Mac Nab, Debussy, Lorrain, Rachilde, Charles De Sivry dit Colophane ou Sivroche, Antoine Bonnet, un exquis violoniste; Marcel Legay, Weiss, Ducray, Paul Morisse, Franck Bail, Steinlen, Alfred de Clauzel, dit Clodion, Paul Alexis, Jean Blaiez, Albert Samain, Antony Mars, Auguste Audy, Denis Doulx, Gueldry, le peintre de la Grenouillère et des canotiers, l’aquafortiste Henri Somm, causeur délicieux, Achille Melandri, photographe et romancier, le beau Michel de l’Hay, le déjà affreux Mermeix, Henri Pille, la comtesse Popo, Hoschedé, Jean Louis Forain, qui ne pensait alors qu’à rivaliser avec Grévin, le paysagiste Véron, le peintre Merwart qui devait disparaître dans l’irruption du mont Pelé, l’insupportable Tanzi, le peintre biterrois des mares et des étangs, le miniaturiste Defeuille, le joyeux moderniste Gœneutte, Tholer, Faverot, Paul Quinsac, Bénédicte Masson, Victor Rey, Edmond Deschaumes, Clément Privé, Crésy, Torquet, Hector France, Jules de Marthold, René Asse, Raymond d’Abzac, Paul Roinard, Marsolleau, le capitaine Ogier d’Ivry, Maurice Montaigut, Carlier, Vidal, Bourbier, Henri Pille, Henri Rivière, Tiret-Bognet, Baroy, Adolphe Willette, Signac, De Sta, Caran d’Ache, et bien d'autres fidèles de la première heure.



Dans la pièce de réception se trouvait un vieux clavecin Marie-Antoinette. Les musiciens du groupe jouent leurs compositions, on s'ingurgite un verre de quelque liquide hasardeux; on brûle une ou deux chaises dans la cheminée, et là, devisant d'art et de littérature, on laisse s'enfuir le temps.


Sur les murs de ce modèle de cabarets sont des tableaux de Willette. Et comme ils ne se peuvent décrire en détails, disons qu'ils représentent des femmes nues accrochées par la chemise au moulin de la Galette, une servante apportant un chat à de nobles seigneurs venus au Chat Noir; Pour le roi de Prusse la Mort sur un cheval fantastique, avec des régiments de soldats marchant derrière elle; enfin le Parce Domine, immense défilé de femmes et de pierrots, à pied, en voiture, et même en omnibus, tandis que la Mort montre sa figure railleuse au travers de la brume des nuages.


C'est Willette qui a exécuté le carton du vitrail de la grande baie, Te Deum laudamus. Après Willette, véritable gamin de Paris de l'art, vient Steinlen, avec une grande composition: les chats de Paris se rendant en bande au 'Chat Noir', sabbat de la race féline, où le noir, le blanc et le gris sont très habilement jetés.


A cela il faut ajouter les études d'oiseaux de Méry, le Daumier de la gent ailée, puis une série de portraits-charges de quelques célébrités artistiques et littéraires de l'établissement: 'Les grands hommes du Chat Noir s. v. p.' ayant figuré à l'exposition des 'Arts incohérents' de février 1883, auteur, suivant le catalogue de ladite, Antonio Gandara, Espagnol des Batignolles, peintre en vitriol, et élève d'Aurélien Scholl.


Portrait de Rodolphe Salis au château de Naintré et celui de Gabrielle Salis dans ce même château


C’est dans son atelier du 10, rue d’Orchampt que La Gandara réalise les portraits de Rodolphe Salis et de son épouse Gabrielle. Lesquels s’intègreront dans le décor de l’établissement comme on peut le voir sur les gravures d’époque avant de rejoindre le château de Naintré, demeure des Salis. Le portrait du maître des lieux est décrit par Willette dans son autobiographie Feu Pierrot ainsi : On voyait aussi sur un des côtés de la salle le portrait en pied du Maître de céans en gentilhomme Louis XIII, du style le plus pur, en compagnie d’un chat noir lapant une assiettée de lait. Ce portrait tout en étant une farce à froid, était une très belle peinture d’Antonio de La Gandara, certainement une de ses meilleures. Ce portrait est d’une ressemblance frappante, précisément parce que mon cher et regretté camarade a su exprimer le côté farce de son modèle, à l’insu de celui-ci bien entendu.


Les décors de l’établissement sont encombrés d’une quantité d’œuvres laissées par les artistes en paiement de leur écot ou acquise pour quelques. Ainsi les natures mortes de La Gandara que l’on retrouvera à la vente Salis le 15 mai 1898, ou Le joueur de flute ou Le jeune chanteur.


Le Joueur de Flûte pourrait être le sujet de ces lignes de Maurice Donnay dans 'Autour du Chat Noir' : "L'établissement se composait d'une grande salle beaucoup plus longue que large, et au fond, d'un réduit assez sombre où personne ne voulait s'asseoir, si ce n'est un jeune homme qui se préparait à passer les examens d'admission à l'Ecole Centrale, mais d'une façon inusitée avec un singulier outillage: à côté de ses cahiers d'algèbre et de géométrie analytique, il avait soin de poser une bouteille et une flûte; quand il était fatigué des équations, il buvait un verre de vin blanc et jouait un air de flûte. Comme Brieux à Anthéor, il était venu là pour être seul. Mais Rodolphe Salis avait eu l'idée géniale d'appeler le sombre réduit: L'Institut, ce fut à qui s'y viendrait asseoir. Image de la vie! Charles Torquet dépossédé de son fief, renonça à l'Ecole Centrale et se jeta, la tête la première, dans la littérature fantaisiste, sous le nom de Raphaël Schoomard."


Ces collections sont décrites dans le Chat Noir Guide avec des commentaires sarcastiques :


- Retour du Bois, par Antonio Gandara. Ce tableau, qui contient les portraits de MM. J. Jouy, R. Salis, H. Rivière, J. Moréas et E. Goudeau, avait été acheté en 1884 par l’inoubliable collectionneur Borniche. Acquis à la mort dudit Borniche par Georges Grison, il fut troqué en 1886 contre un ophicléide de Haarlem qui appartenait à la maîtrise de Notre-Dame. On sait que le fameux reporter du Figaro ne possède pas moins de 800 ophicléides, entre autre celui dont se servait jadis le duc de Morny.


- Willette, Salis, Jules Jouy, E. Goudeau, Rivière et Papadiamantopoulos, portraits par Gandara, exécutés en moins d’une heure, dans la nuit de Noël 1884. Ces six portraits furent refusés à Gordon Bennet, qui en offrait cent mille francs et qui voulait en orner son cabinet de travail. Ils ont longtemps figuré dans la Salle de dépêches du Figaro, où ils ont fait l’étonnement du tout Paris.


- Portrait de Rodolphe Salis à 29 ans, par Gandara. Dans cette magnifique toile, qu’on se rappelle avoir vue exposée à la Salle des Dépêches du Figaro en 1883, le cabaretier-Gentilhomme est représenté dans le costume des gonfaloniers des grisons. Il tient à la main l ‘épée de Jean Constant Salis, son trisaïeul…


C’est le 10 juin 1885 que Rodolphe Salis prit possession de son nouveau local. Jules Roques, directeur du Courrier Français, raconta ce changement de domicile: A minuit sonnant, le Chat-Noir quittait son ancien domicile du boulevard Rochechouart pour aller s’installer en son hôtel, rue de Laval. Le départ s’est effectué de la façon la plus originale et la plus extraordinaire. Le patron de l’établissement, Rodolphe Salis, directeur du journal Le Chat-Noir, habillé en gentilhomme, l’habit brodé, culotte courte, épée en verrouille, est sorti le premier, suivi de ses garçons costumés en académiciens. Puis suivait une fanfare composée d’instruments bizarres : tambour, clairon, serpents d’église, tambour de basque. Les bannières jaunes du Chat-Noir étaient déployées; des porteurs de torches éclairaient le grand portrait de Salis peint par Antonio Gandara et porté par deux fidèles. Puis venaient des gens armés de hallebardes, arquebuses, glaives, rapières, etc… Ensuite, porté par quatre-z-officiers, le grand tableau de Willette, dont ce cortège étonnant semblait la parodie. Venaient ensuite les parents et amis, grossis par la foule des curieux et des voitures qui s’étaient mises à suivre. L'installation dura une quinzaine de jours, surveillée attentivement par la police.


En 1897, à la mort de Salis, les artistes se dispersèrent et le Chat Noir s’éteignit doucement.


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